📣 SORTIE DU MOIS : Jacob Collier | Djesse (Vol. 1)

On ne présente plus Jacob Collier dans le jazz contemporain. A seulement 24 ans, ce jeune multi-instrumentiste, compositeur et arrangeur britannique de génie, qui a commencé dans sa chambre à grands coups de reprises sophistiquées (Stevie Wonder, entre autres), est déjà auréolé de 2 Grammy Awars en 2017 et reconnu comme ayant bouleversé le système de composition musicale jazz en inventant son propre système harmonique. Accompagné de l’orchestre néerlandais de jazz Metropole Orkest dirigé par Jules Buckley, il offre au monde de la musique une perle rare, un album qui mélange les sonorités, les styles et les atmosphères. Une prouesse grandiose dans tous les domaines, qu’il fallait bien chroniquer…
« Le livre est un miroir que l’on porte tout au long du chemin. » écrivait Stendhal. Jacob Collier aurait pu en dire de même de la musique, ce reflet des étapes de sa pérégrination personnelle.
Avec son nouvel album, Djesse (vol. 1), il en donne une illustration parfaite. L’auditeur a l’impression de traverser des miroirs successifs, évoquant chacun un monde particulier, une partie du cerveau fabuleux de Jacob qu’il nous donne à entendre.
Dès Home Is, six minutes de chœurs aériens, a cappella, plongent les oreilles dans un calme presque religieux, mystique. Les harmonies sont déjà osées et divines. Une introduction au bijou musical qui suit.
La sérénité se brise, on découvre les dessous d’un nouveau monde. Et c’est avec une ouverture symphonique entre Leonard Bernstein et John Williams que s’ouvre vraiment Djesse (vol. 1). Overture, sans voix ou presque, reste un modèle d’écriture de jazz symphonique. La toile de fond est tendue, l’oreille est immédiatement attentive.
Pas de cassure cette fois-ci, mais un fondu, comme si le miroir aspirait délicatement l’auditeur dans une nappe harmonique féérique. Vient alors le troisième morceau de l’album, With The Love Of My Heart. Et là, que de ruptures, que de changements et variations ! Depuis les flottements rythmés par les harmonies vocales brillantes jusqu’aux prouesses techniques de Jacob (qui rappelle combien il est talentueux, autant à la batterie qu’à la basse, la guitare et aux claviers), en passant par des explosions électros qui secouent l’intérieur des tympans, on est transporté dans de multiples univers en sept minutes à peine. C’est éclatant et redoutablement efficace. Pas besoin d’être un expert musical pour vibrer au son des instruments et des voix, tout est calibré au poil pour laisser l’auditeur exténué et heureux, pour les deux dernières minutes, calmes et apaisantes. Un petit plus : le clip est génial et montre la bête en action.
Autre monde, autre miroir avec Ocean Wide, Canyon Deep. Pour la première fois de l’album on perçoit véritablement l’amplitude vocale de Jacob et la douce rondeur de sa voix grave. En duo avec Laura Mvula, qui crée le contraste par sa voix tout en fluidité. Le morceau est sensuel, l’arrangement délicat et les voix entrelacées. On se laisse porter au fil de cette déclaration d’amour voilée, et c’est à travers ce miroir que l’on passe pour rejoindre la chanson-titre.
Djesse est selon moi le meilleur morceau de l’album. Pas nécessairement par son inventivité ou sa virtuosité, qui sont moins frappantes que dans d’autres titres. C’est l’arrangement qui est sublime. [ndlr : l’arrangement est la disposition des parties et des instruments sur une partition ; il est essentiel et peut changer toute une chanson. Enlevez la basse de Come Together des Beatles, mettez-la au piano, et tout s’effondre.] Djesse est un chef-d’œuvre parce que l’arrangement de l’orchestre est en parfait soutien des voix, et l’ensemble donne naissance à un morceau introspectif puissant. Je vous défie de ne pas vous balancer sur ce son jazzy à souhait.
CRAC ! On brise le miroir et on bascule dans una paysage plus oriental et complètement fou : celui de Everlasting Motion, avec un guest qui chante en arabe, le Marocain Hamid El Kasri. L’alternance entre le thème d’El Kasri, en arabe et sur une rythmique en déséquilibre constant, et le thème de Jacob, en anglais et furieusement groovy, agite l’épiderme de frissons qui trahissent l’impossibilité de rester assis. C’est brillamment écrit, entre harmonies infernales et percussions vigoureuses, et le métissage a (une nouvelle fois) du bon.
Les gourmandises rythmiques se retrouvent dans le morceau suivant, Every Little Thing She Does Is Magic, mais cette fois c’est plutôt vers Cuba et l’Amérique latine qu’il faut se tourner. Alternant les flûtes dansantes, les congas festives et la nappe doucereuse des cordes, sans oublier les harmonies vocales encore une fois brillantes, c’est une belle réussite pour cette reprise du titre de The Police. Un grand tour de passe-passe musical.
La thématique amoureuse trouve son apogée avec Once You, ou neuf minutes d’une magnifique chanson d’amour, profonde et délicate à la fois. L’arrangement, subtil et poignant, porte la voix solo, qui ouvre son cœur au gré de vagues sonores. Les instruments, comme les flots, fluent et refluent au gré des vents soufflés par les mots doux (mais jamais niais) de Mr Collier. Impossible d’expliquer ce que l’on ressent avec ce morceau, il faut l’écouter. De préférence les yeux fermés, pour vivre la beauté de l’instant.
Comment conclure un album mieux qu’avec une reprise bien sentie, propulsant un titre du rang de « standard bon délire » à celui de « fantastique moment de jouissance » ? Aidé par les excellents chanteurs de Take 6 (une référence pour les amateurs de jazz vocal), Jacob nous offre sur un plateau d’argent sa version revisitée de All Night Long, de Lionel Richie. Vous êtes prévenus : la version du bon Lionel va vous paraître affreusement fade après ça. C’est une pépite musicale, un orgasme auditif, un bout de bonheur à savourer. En prime, un solo de piano bossa inimitable, qui secoue le corps de la tête au pied et donne envie de hurler sa joie. Un anti-dépresseur surpuissant. Et quel pied !
Difficile de terminer un article après autant de bouquets jetés sur l’autel de Jacob Collier. D’abord, c’est un album qu’il faut absolument écouter, au moins pour tenter de comprendre comment il arrive à traverser autant d’univers musicaux en seulement neuf morceaux. Ensuite, c’est un monument à la prouesse technique et au métissage musical. Enfin, le gamin est juste un p***** de génie, un vrai, parmi les très très grands de la musique de tous genres, reconnu par les plus grands et qui réserve des surprises toujours plus impressionnantes. Ce serait dommage de passer à côté.
Laissez-vous aller et passez de l’autre côté du miroir…
👉 Pablo Brahimi